Dans un contexte de dégradation continue de la situation sécuritaire en Haïti, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a annoncé, dans un communiqué en date du 2 mai 2025, la dissolution de la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR). Cette décision intervient alors que l’institution était de plus en plus contestée, notamment en raison de la nomination controversée de Jean Rebel Dorcénat, un personnage accusé de proximité avec les réseaux criminels les plus redoutés du pays.
Cette dissolution, qui aurait pu apparaître comme un geste de rupture avec le passé, révèle en réalité les tâtonnements et les incohérences du CPT, désormais placé face à l’exigence d’une refondation crédible de la stratégie de désarmement en Haïti.
Le communiqué du CPT, publié par le Bureau de Communication de la Présidence, tente d’installer une narration d’autorité et de volonté de réforme. Le document explique que la décision de dissoudre la CNDDR résulte d’un « contexte marqué par une perte de confiance généralisée » et que l’objectif est de mettre en place une nouvelle structure « à l’abri de toute suspicion ».
Mais ce discours intervient alors même que la dissolution survient au lendemain d’une lettre cinglante adressée par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) au président du CPT, Fritz Alphonse Jean. Dans ce courrier, l’organisation exigeait le retrait immédiat de Jean Rebel Dorcénat de la CNDDR, le qualifiant de collaborateur des gangs armés, notamment du G-9 An Fanmi e Alye, dirigé par Jimmy Chérizier, alias « Barbecue ».
Le RNDDH retrace dans sa correspondance le parcours de Jean Rebel Dorcénat, soulignant son rôle actif dans la fédération des groupes armés réunis sous la bannière de Viv Ansanm, alliance criminelle qui serait à l’origine de la terreur actuelle. Plus grave encore, le RNDDH accuse Dorcénat d’avoir facilité, depuis son poste officiel, l’accès des gangs à des armes, des munitions et même à des fonds provenant de l’État.
Selon le RNDDH, sa présence au sein de la CNDDR était non seulement une menace directe à la sécurité nationale, mais aussi un affront aux victimes des violences sexuelles, des enlèvements, et des massacres. Dans un passage particulièrement virulent, la lettre qualifie cette nomination de « gifle pour les femmes violées, les déplacés, et pour tout un peuple pris en otage ».
Si la décision de dissoudre la CNDDR peut être perçue comme une victoire pour les défenseurs des droits humains, elle laisse néanmoins un vide institutionnel critique. Le CPT affirme dans son communiqué vouloir consulter les secteurs concernés – organisations de la société civile, personnalités nationales – en vue de la création d’une nouvelle structure de désarmement.
Mais au-delà de cette intention, plusieurs interrogations demeurent :
Où est la feuille de route stratégique ?
Quelle garantie que la nouvelle entité ne sera pas infiltrée comme la précédente ?
Comment le CPT compte-t-il rétablir la confiance alors qu’il a validé des nominations aussi controversées ?
Le silence initial du CPT face aux avertissements répétés du RNDDH illustre une forme de déconnexion avec la société civile et un manque criant de discernement dans la sélection de ses collaborateurs.
Le Conseil Présidentiel de Transition en mode improvisation ?
Cette affaire met crûment en lumière le mode de gouvernance du CPT, marqué depuis plus d’un an par des décisions à court terme, souvent prises sous la pression. Au lieu d’un leadership affirmé, les membres du CPT semblent naviguer à vue, réagissant aux critiques plus qu’ils n’anticipent les besoins.
Pour un pays en crise, ce style de gouvernance improvisé est lourd de conséquences. Il nourrit le scepticisme populaire, fragilise encore davantage les institutions, et offre un terreau fertile à la méfiance généralisée.
Un test de crédibilité pour le CPT
En dissolvant la CNDDR, le CPT tente de redorer son image. Mais cet acte, aussi nécessaire soit-il, n’efface ni les erreurs passées ni les signaux d’alerte ignorés. Pour que cette dissolution ne soit pas un simple écran de fumée, elle doit être suivie d’un engagement clair, transparent et structuré en faveur d’un désarmement véritable, encadré par des institutions crédibles, neutres et compétentes.
Le peuple haïtien n’a plus le luxe d’attendre des expérimentations politiques hasardeuses. Il exige des actes cohérents, une gouvernance rigoureuse et, surtout, une rupture nette avec les arrangements opaques qui ont trop souvent nourri la violence.